L’IA va-t’elle remplacer le coach ?

L’IA (intelligence artificielle) est-elle en voie de supprimer le métier de coach ? Les outils apprenants ont-ils la faculté de remplacer l’humain dans la mutation des organisations ? Ou bien est-ce le moment de choisir d’en faire la clé de sa propre réussite en redéfinissant la norme ? Dans le domaine du coaching, l’IA promet des opportunités passionnantes pour les professionnels souhaitant améliorer leurs pratiques et accompagner leurs clients de manière plus efficace et personnalisée.

Jean-Pierre Henry, professeur associé en charge du programme Coach professionnel à ICN Business School, nous explique son analyse de l’émergence des outils équipés d’intelligence artificielle dans un environnement en évolution constante. 

Retour vers le… passé

2019 : le programme de certification au coaching professionnel d’ICN Business school intègre un module dédié aux innovations dans le coaching professionnel.

La première innovation présentée fut celle du coaching en visioconférence. Nous étions à l’époque avant la crise du covid, lorsque Zoom et Teams étaient encore confidentiels et que la majorité d’entre nous n’avait jamais testé le télétravail. Je me souviens du scepticisme des étudiants coachs, dont les arguments détracteurs apparaissaient alors fort légitimes : ces dispositifs nous apportent une perception limitée du langage corporel, limitent l’emploi des outils usuels, manquent de chaleur humaine, etc.

Qu’en est-il aujourd’hui du coaching ?

Cette pratique distancielle est désormais ancrée et nous sommes une majorité à l’employer de manière épisodique, voire majoritaire. J’ose par ailleurs confesser que je fais partie de ceux qui en apprécient les multiples avantages.

La seconde innovation exposée fut, déjà à l’époque, celle du coaching par IA. Si la visioconférence suscitait de la perplexité, vous pouvez imaginer à quel point pour les étudiants l’idée que des agents conversationnels virtuels puissent animer des séances de coaching relevait plus de la science-fiction que d’une hypothèse réaliste. Qu’à cela ne tienne, le simple exercice de s’imaginer confier notre métier à une machine possède en soi de multiples vertus pédagogiques. Novembre 2022, ChatGPT débarque sans crier gare. Qu’en est-il aujourd’hui ? Avions-nous vu juste ?

Tout est affaire de définition

Est-il réaliste d’envisager une alliance entre ChatGPT (ou sa progéniture) et ses utilisateurs dans un processus qui suscite chez eux réflexion et créativité afin de maximiser leur potentiel personnel et professionnel ?

Peut-on penser que ChatGPT puisse aider ses utilisateurs, avec des processus d’accompagnement adaptés, à bâtir leurs propres solutions ? À mettre en œuvre des processus qui les aident à dépasser leurs obstacles ? À croître et gagner en efficacité ?

Autrement formulé, ChatGPT est-il en mesure d’accompagner le développement des potentiels et des savoir-faire dans le cadre d’objectifs professionnels ?

Si les réponses sont positives, ChatGPT sait coacher, en tout cas si on se base sur ces définitions du coaching, éditées respectivement par ICF, EMCC et SFCoach. Si, tout comme moi, vous êtes coach professionnel, j’imagine que vous vous dites que le coaching ne se résume pas à ces acceptions normalisées.

Que cette “alliance” évoquée par ICF dépasse le cadre des modèles de langage des agents conversationnels. Que le succès du coaching dépend avant tout (voire intégralement) de la qualité de la relation humaine entre le coach et le coaché. Et vous avez raison (notamment parce que vous pensez comme moi 😉).

Les limites du coach ?

Et bien justement. Si le coaching ne se cantonne pas à ces définitions communément admises, s’il est plus que cela, il peut donc précisément prendre d’autres formes et répondre efficacement à certaines demandes ? Le “LLM[1]-coaching” pourrait donc simplement être une autre forme de coaching, avec ses propres caractéristiques, son propre domaine de compétences.

Qu’on adhère ou pas a priori à cette hypothèse, je trouverais dommage de la balayer d’un revers de main avant d’en avoir exploré les contours. Le coach que je suis prône la créativité, l’ouverture, le dépassement des obstacles et le développement des potentiels. Pour rester aligné et congruent, je me dois donc de rester ouvert à ces innovations. Je ne souhaite pas me comporter en agent “conservationnel” face à ces agents “conversationnels”.

Et puisque je nomme ChatGPT, je vais lui demander son avis. Alors que je formule ma requête, je remarque, juste sous la fenêtre de saisie de prompt, l’avertissement légal “ChatGPT can make mistakes. Consider checking important information.” Par honnêteté et courtoise réciprocité, je me permets d’à mon tour vous préciser, cher lecteur, “I can make mistakes. Consider checking important information.”

[1] LLM : Large Language Model. L’outil qui permet à des IA tel ChatGPT de générer du texte.

Une requête à ChatGPT

Requête coaching ChatGPT

Mon intention n’est pas de débattre sur chacun des thèmes cités, mais de faire un zoom sur l’un d’entre eux. Je suis (à peu près) sûr que celui qui sur lequel vous vous êtes arrêtés est le dernier : ChatGPT pourrait, selon lui, fournir un soutien émotionnel. Nous y reviendrons.

Avant cela, je me permets de partager le point sur lequel j’ai immédiatement souri : le numéro 5, sur l’automatisation des tâches administratives. La formation pour adulte constitue mon activité professionnelle principale. Ce métier est fortement réglementé par des processus normatifs, impliquant la mise en œuvre de mécanismes administratifs multiples, sans lien direct avec la qualité des prestations réalisées.

Un grand classique des appels d’offres consiste à demander d’établir à l’avance un programme détaillé qui réponde totalement aux demandes qui seront formulées a posteriori par les participants ! Avant ChatGPT, ce labeur bureaucratique ambivalent, voire inepte, me prenait une bonne demi-journée. Aujourd’hui, je satisfais à cette demande en 30 minutes maximum, avec un résultat de qualité tout à fait similaire.

Je ne sais pas encore si ChatGPT est un bon coach, mais je confirme qu’il peut faciliter la vie des coachs.

Revenons sur cette notion de soutien émotionnel, qui m’intrigue. Je souhaite en savoir plus. 

ChatGPT : un soutien émotionnel ?

Requête coaching ChatGPT 2

Là encore, il ne me parait pas pertinent de tout détailler point par point.

Sa réponse suscite en moi tour à tour émerveillement, perplexité, curiosité, scepticisme, mais jamais appréhension ou inquiétude. Si des IA peuvent effectivement faire tout cela, et je pars de l’hypothèse que tel est le cas, et que leurs utilisateurs y sont réceptifs, alors où est le problème ? Répondre à des demandes n’est-il pas le B.A.BA de notre métier, à l’instar de… toutes les autres professions ?

Certes il s’agit là d’une machine, certes on n’en maîtrise pas tous les tenants et aboutissants. Mais, à y bien penser, toutes les approches ont leurs détracteurs. La psychanalyse, l’ennéagramme, la PNL, l’hypnose, les constellations familiales, le développement personnel, ou encore le coaching lui-même !

Toutes les innovations ont connu leurs lots d’opposants, manifestant d’ailleurs toujours des craintes. Si on avait écouté leurs détracteurs, on vivrait aujourd’hui sans électricité, trains, avions, internet ou encore téléphones portables. Paris ne serait pas sublimée par l’architecture haussmannienne, la tour Eiffel ou la pyramide du Louvre.

Le Large Language Model, un outil puissant pour le coach

Le LLM-coaching semble manifestement posséder un intéressant potentiel et il n’a pas encore eu le temps de faire ses preuves. Laissons-lui sa chance.

Pour finir cette expérience, je décide de creuser à présent le tunnel à partir de l’autre côté de la montagne. Au tour de ChatGPT de s’exposer, de partager ses limites. 

En lisant sa réponse, je me dis qu’il a raison. Il a même trop raison. Il m’écrit ce qu’il est bien pensant d’écrire. ChatGPT, que l’on dit être Woke, de gauche, progressiste ou encore libéral, semble me fournir la réponse que je veux entendre, celle qui ne sera pas polémique. ChatGPT est programmé pour ne jamais explorer d’éventuelles zones d’ombres, ne jamais risquer de surprendre, décontenancer.

J’avoue une certaine déception devant cette fadeur, que je juge trop politiquement correcte. Je touche peut-être du doigt une limite. Le coach doit oser, provoquer, interloquer, bousculer, proposer du “hors-piste” pour élargir le cadre. C’est d’ailleurs un des outils les plus efficaces de notre métier.

Un cas d'école

Je fais un pas de côté sur cette thématique du “hors piste”. Avec sa réponse lissée, ChatGPT me fait penser à mes étudiants coachs lorsque je les challenge sur l’éthique et la morale du métier. En salle de classe, leurs réponses sont tout autant irréprochables que celles de ChatGPT. Mais quand on entre dans le concret, le vif du sujet, alors des nuances apparaissent. Voici ce que je leur propose.

“Imaginez un coaching dont l’objectif SMART soit une croissance du chiffre d’affaires réalisé par le coaché. Vous précisez évidemment au client que vous êtes tenus à une obligation de moyens et non de résultats. Il l’entend très bien, et pour autant il vous suggère d’établir une convention d’honoraires avec intérêts financiers sur les résultats. En d’autres termes, il vous propose de percevoir un pourcentage du chiffre supplémentaire qu’aura réalisé le coaché à l’issue du coaching. Vous n’êtes certes toujours pas tenu à une obligation de résultats, mais vous y avez désormais un intérêt.”

Théorie vs réalité

Mes étudiants répondent toujours qu’ils refuseraient une telle proposition. C’est très bien, mais est-ce que vous déclineriez ainsi de toucher 10% de 2 millions d’euros ? Le temps qu’ils prennent avant de répondre est, pour moi, une réponse. Je n’entends pas par là qu’ils accepteraient (là n’est pas vraiment la question), mais juste qu’ils prennent conscience que la pratique est souvent plus alambiquée que la théorie. Cet exemple caricatural, à visée uniquement pédagogique, est évidemment à nuancer, mais il est avant tout destiné à challenger l’idéalisme de la salle de classe. Mes étudiants (en contexte scolaire) et ChatGPT partagent une vision que je qualifierais d’utopiste. C’est tout à leur honneur, mais je m’interroge sur leur confrontation avec les subtilités des situations réelles.

Un autre sentiment m’interpelle. En quoi les coachs professionnels sont-ils eux-mêmes forcément toujours empathiques ? En quoi notre lecture des émotions humaines est-elle suffisamment correcte ? Qu’est-ce qui ferait que nous soyons vraiment à même de naviguer dans les subtilités des relations interpersonnelles ?

Ne nous méprenons pas, je ne suis pas sujet au syndrome de l’imposteur. Je pense d’ailleurs sain d’évoquer de tels doutes, qui peuvent nous prémunir contre une immorale conviction de toute-puissance. Je me permets juste de relativiser la constance des performances humaines.

Mon coaching par ChatGPT

J’ai pratiqué de multiples expériences de coaching avec des IA, en reprenant les demandes “classiques” de nos coachés (confiance en soi, relationnel, communication, procrastination, etc.). J’encourage tout coach de tenter de telles expériences. J’ai trouvé que l’IA n’a jamais été très bonne, mais elle n’a jamais été mauvaise non plus. Le plus important à mes yeux est qu’elle n’est jamais sortie du cadre.

Lorsque j’allais la titiller sur des aspects émotionnels aigus, elle me conseillait toujours d’aller voir un professionnel humain. Je lui attribuerais une note entre 10 et 12/20. Je garde à l’esprit qu’elle est, architecturalement parlant, un système apprenant. Elle va donc s’améliorer !

Nous savons qu’une partie de nos coachés chercher ponctuellement une oreille humaine attentive. La demande formelle, l’objectif officiel, ne sont, plus ou moins consciemment, que des prétextes à l’échange interhumains. Cela fait, à mes yeux, partie de la noblesse de notre métier. Par définition, ChatGPT ne pourra jamais apporter ce type d’accompagnement.

Ce avec quoi je repars

Ce que cette expérience avec ChatGPT m’a apporté est un questionnement sur ma pratique du coaching professionnel, et donc sur moi-même. J’ai le sentiment de sortir de supervision. J’ai plus de questions que de réponses… comme, parfois, mes coachés à l’issue de leurs séances de coaching ! Work in progress.

J’aime la compétition, car elle m’inspire le dépassement de soi. Je ne me bats pas contre mes concurrents, je me bats avec eux, avec moi. C’est ainsi que nous devenons meilleurs. ChatGPT est un système apprenant, c’est d’ailleurs sa raison d’être. Et moi ? Suis-je encore un système apprenant ? Si je veux rester dans la course, progresser, je dois, tout comme lui, continuer à étendre le champ de mes compétences.

Avec l’IA, il appartient à chacun d’entre nous d’être résistant ou collaborateur. On peut aussi se positionner quelque part entre les 2. Tout est affaire de contexte, de perception, de choix. Je pense pour ma part que l’IA est une menace si on la perçoit comme telle, et qu’elle est une opportunité si on s’autorise à “co-laborer" avec elle.

Si vous souhaitez devenir un professionnel du coaching, à acquérir des outils et des méthodes actuelles, tout en étant accompagné par des professionnels reconnus, la formation Coach Professionnel est le tremplin idéal pour vous.